Chandrabati (c. 1550–1600) – La Première Poète Femme Bengalie et sa Réécriture Féministe du Ramayana

Arifur Rahman
Arifur Rahman - Publisher
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Chandrabati. Illustration by Tor, Toons Mag

Chandrabati (c. 1550–1600), née dans le pittoresque village de Patuyari, dans le district de Kishoreganj, au Bangladesh actuel, est reconnue comme la première poète femme de l’histoire de la littérature bengalie. À une époque où les espaces littéraires étaient dominés par les hommes, la voix de Chandrabati a émergé comme une force radicale et introspective, offrant une nouvelle perspective à travers laquelle les récits classiques pouvaient être réinventés. Plus qu’une poète, elle était une penseuse spirituelle, une critique culturelle et un symbole de résistance féminine qui a osé remettre en question les normes de genre de son époque à travers ses écrits.

Infobox : Chandrabati

AttributDétails
Nom CompletChandrabati (চন্দ্রাবতী)
Année de NaissanceVers 1550
Lieu de NaissanceVillage de Patuyari, Kishoreganj, Bengale (actuellement au Bangladesh)
Année de DécèsVers 1600
OccupationPoète, Dévote de Shiva
Connu PourPremière poète femme de la littérature bengalie, Ramayana féministe
Œuvres PrincipalesMalua, Dasyu Kenaram-er Pala, Ramayana Incomplet
PèreDwij-Bangshidas Bhattacharya
MèreSulochana ou Anjana
Affiliation ReligieuseHindouisme
HéritagePionnière littéraire féministe, icône culturelle et folklorique

Premiers Années et Famille

Chandrabati est née dans une famille traditionnelle de brahmanes bengalis, profondément enracinée dans le patrimoine culturel et spirituel de la région. Sa famille était reconnue non seulement pour sa piété religieuse, mais aussi pour ses contributions littéraires, qui étaient au cœur de la vie intellectuelle de leur communauté. Son père, Dwij-Bangshidas Bhattacharya, était un poète respecté du genre Manasamangal, une littérature dévotionnelle centrée sur la déesse Manasa, vénérée comme la protectrice contre les morsures de serpent et un symbole de pouvoir et de résistance féminine dans les croyances folkloriques bengalies.

Ses œuvres étaient largement lues et récitées, et sa présence a créé un environnement où la poésie, la musique et la dévotion coexistaient harmonieusement. Sa mère, connue sous le nom de Sulochana ou Anjana, maintenait des pratiques religieuses rigoureuses et transmit à la jeune Chandrabati ses propres valeurs de dévotion, de compassion et de discipline morale.

La famille résidait sur les rives du fleuve Fulesshori, une voie fluviale pittoresque et spirituellement significative qui jouait un rôle important dans le folklore local et la vie dévotionnelle. L’environnement serein, combiné au symbolisme mythique du fleuve comme purificateur et témoin de la souffrance humaine, a profondément influencé l’imagination de Chandrabati. Ses premières années ont été remplies de rituels, de récitations poétiques et de récits mythologiques qui ont captivé son jeune esprit. Inspirée par la cadence lyrique des poèmes de son père et la profondeur émotionnelle des hymnes dévotionnels, Chandrabati a commencé à composer ses propres vers dès son enfance.

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Elle a absorbé avidement les traditions orales de la région, s’inspirant des récits anciens, des ballades locales et des narrations spirituelles. Son foyer fonctionnait comme un sanctuaire et un creuset, nourrissant sa croissance intellectuelle tout en renforçant les valeurs religieuses et culturelles qui allaient définir sa voix poétique. Cet environnement riche en textures a fourni la base parfaite pour son évolution en tant que poète d’une sensibilité unique et d’une vision critique profonde.

Contributions Littéraires

Les contributions de Chandrabati à la littérature bengalie sont profondes, transformatrices et bien en avance sur son temps. Elle est surtout célébrée pour sa version unique et inachevée du Ramayana, un projet qu’elle a entrepris sous l’influence de son père et qu’elle a partiellement complété avant sa mort prématurée. Contrairement aux récits traditionnels qui se concentrent sur la valeur et la divinité de Rama, Chandrabati a réimaginé la narration du point de vue de Sita, l’héroïne souvent marginalisée mais émotionnellement complexe.

Ce faisant, elle a déplacé l’accent de l’épopée pour explorer des thèmes tels que l’abandon, la souffrance féminine, la résilience émotionnelle et les conséquences des valeurs patriarcales dans la vie des femmes. Son Ramayana est non seulement un jalon littéraire, mais aussi un texte féministe précoce qui subvertit la glorification de l’héroïsme masculin et de la droiture divine.

Sa vision littéraire était façonnée par son empathie, sa spiritualité dévotionnelle et sa profonde sensibilité sociale. Elle utilisait la poésie comme un outil pour donner une voix aux silencié(e)s et mettre en lumière le fardeau émotionnel que portent les femmes dans les sociétés patriarcales. Ses œuvres se distinguent par leur intensité lyrique, leur profondeur psychologique et leur connexion profonde avec la culture folklorique et l’introspection religieuse.

Ses principales œuvres littéraires comprennent :

  • Malua : Une ballade lyrique qui tisse de manière complexe des thèmes d’amour, de fidélité, de trahison et de sacrifice. Elle reste une pièce très appréciée dans les traditions orales et folkloriques du Bengale, souvent chantée lors de mariages et de fêtes religieuses.
  • Dasyu Kenaram-er Pala : Un puissant récit explorant l’ascension et la chute du bandit Kenaram. La pièce sert d’allégorie morale, abordant la justice, le repentir et les conséquences de s’écarter du dharma.
  • Ramayana (Incomplet) : Une réinterprétation féministe courageuse et poignante qui dépeint Sita comme un personnage pleinement réalisé, remettant en question l’infaillibilité divine, les jugements patriarcaux et les limitations du rôle traditionnel de la femme.

La valeur littéraire et culturelle du Ramayana de Chandrabati a été reconnue plus tard par l’érudit bengali Dr. Dinesh Chandra Sen, qui a publié le manuscrit en 1932. Il a mis en évidence l’originalité de l’œuvre, sa sincérité émotionnelle et sa rare perspective féminine. Sen a même spéculé que Meghnad Badh Kavya de Michael Madhusudan Dutt, en particulier le dialogue entre Sita et Sarama, pourrait avoir été influencé par le traitement unique des voix féminines par Chandrabati. Aujourd’hui, son Ramayana est largement considéré comme l’une des expressions littéraires féministes les plus importantes de la littérature sud-asiatique.

Une Histoire d’Amour et de Tragedie

La vie personnelle de Chandrabati reflète la gravité émotionnelle et la profonde introspection que l’on trouve dans sa poésie. Pendant son adolescence, elle a noué un lien intense et affectueux avec Jayachandra, un garçon orphelin élevé par des parents dans un village voisin de l’autre côté du fleuve Fulesshori. Leur amitié d’enfance a évolué en une relation romantique profonde, chérie par les deux familles et devant aboutir au mariage. Leur amour commun pour la poésie, la nature et l’exploration spirituelle les rapprochait encore davantage, et ils composaient souvent des vers ensemble, échangeaient des chansons dévotionnelles et rêvaient d’un avenir commun.

Cependant, leur connexion idyllique a été interrompue par une trahison inattendue. Jayachandra est tombé amoureux d’Asmani, la fille captivante d’un responsable musulman local. L’intensité de sa nouvelle passion l’a amené à rejeter son passé, se convertissant à l’islam, adoptant le nom de Joynal et épousant Asmani en secret. La révélation est arrivée le jour même où son mariage avec Chandrabati était prévu. Cette trahison n’a pas seulement brisé le cœur de Chandrabati, mais a aussi ébranlé sa foi dans la constance humaine et les normes sociales. Ce n’était pas juste une perte personnelle, c’était une profonde désillusion spirituelle.

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Accablée par la dévastation émotionnelle, Chandrabati s’est retirée des affaires mondaines et a renoncé au mariage. Cherchant le réconfort dans la dévotion divine, elle demanda à son père de construire un temple dédié à Shiva sur les rives du Fulesshori. Là, entre le doux bruissement des feuilles et le murmure des eaux sacrées, elle a adopté une vie d’ascétisme spirituel. Elle passait ses journées à méditer, chanter des bhajans, composer de la poésie et accomplir des rituels, créant ainsi un sanctuaire de réflexion et de résistance.

Les années ont passé, et Jayachandra, maintenant vivant sous le nom de Joynal, a été tourmenté par la culpabilité et la réalisation que sa passion éphémère lui avait coûté un amour pur et profond. Dans une dernière tentative de réparer son erreur, il est revenu vers Chandrabati, mais elle est restée ferme dans sa décision, le rejetant avec dignité. Accablé de désespoir et de remords, Jayachandra s’est donné la mort en se noyant dans le Fulesshori.

Chandrabati, bien qu’étant une recluse, a été profondément affectée par sa mort. Sa peine ne résidait pas seulement dans l’amour perdu, mais dans la fin tragique d’un lien qui avait autrefois tant de promesses. Incapable de supporter le poids émotionnel, elle l’a suivi dans les eaux du Fulesshori, choisissant la mort comme une forme de transcendance. Leur histoire, empreinte de romance, de trahison, de pénitence et de désir spirituel, perdure dans le folklore bengali comme un souvenir poignant de la beauté fragile de l’amour et du pouvoir spirituel du sacrifice.

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